La fiscalité en trois fauches

Publié le par cassiano

Les milieux économiques, comme on dit, se font régulièrement les chantres du « moins d‘impôts ». La fiscalité nuirait à la bonne marche du commerce, de l’industrie et de la finance. La gauche, elle, veut par le biais de la fiscalité niveler et redistribuer la richesse. Mais est-ce vraiment ce qui se passe ? La fiscalité est-elle vraiment « de gauche » et « anti-économique » ?

 

Au temps de l’ancienne Rome, non seulement les jeux mais aussi les distributions de pain permettaient d’acheter la tranquillité sociale dans la capitale, en exploitant les richesses des provinces. Aujourd’hui, dans nos sociétés, on garantit un niveau « acceptable » de protestation politique et syndicale voire encore de criminalité en octroyant à tous un niveau économique acceptable. Plutôt que de se faire importuner ou voler par les affamés du quartier, il vaut mieux leur octroyer un rente : c’est ce qu’a compris Calvin il y a 500 ans en proscrivant la mendicité et en créant un « hospice général ». Cela ne coûte pas plus cher et garantit davantage d’ordre public. Mesure de gauche ou de droite ? Mesure généreuse, mais dans l’intérêt bien compris de chacun, riches et pauvres.

 

Une ambivalence analogue peut s’observer dans le régime fiscal imposé aux particuliers, dans la plupart des pays européens.

 

On exempte d’impôts directs une part toujours plus importante de la population, ce qui présente l’avantage d’une certaine simplicité administrative et s’ajoute au système de la rente sociale permettant de garantir humainement l’ordre public. Mais être totalement exempté d’impôts, est-ce conforme à la dignité d’un administré censé contribuer matériellement, même modestement, au budget commun de l’Etat ? Avec la suppression un peu partout de la conscription et du service militaire, on crée une classe de citoyens qui se contentent de recevoir et, accessoirement, de réclamer (par des manifestations ou par le vote protestataire). Des citoyens qui finiront par ressembler au prolétariat de la Rome impériale, soucieux non de participer à la vie civique mais de recevoir leur panier-repas et leur chèque.

 

Les plus riches parmi les riches paient peu et beaucoup à la fois. Ils sont peu nombreux et ont les moyens de déménager si l’on exagère dans la ponction fiscale, ou encore de recourir à des techniques juridiques pour la réduire. Ils tiennent donc le couteau par le manche. Ces personnes ne percevront donc pas dans leur train de vie la ponction dont ils font l’objet : elle est indolore. Mais une poignée de milliardaires paient bien plus qu’une foule d’exemptés – mais moins, au total, que les « classes moyennes ».

 

Les fameuses « classes moyennes » incluent des situations très diverses, selon que le contribuable peut juste raisonnablement survivre ou qu’il a les capacités d’économiser ou de dépenser. Là, c’est l’administration étatique qui tient le couteau par le manche : pour qui ne vit pas de ses rentes, il sera difficile de déménager du jour au lendemain. L’Etat ponctionne donc, raisonnablement mais sans hésiter, le gros des troupes. Comme dans les bons pâturages, on peut faucher trois fois : première fauche, au printemps, l’impôt sur le revenu, la fleur de la récolte ; deuxième fauche, par l’impôt sur la fortune, le regain, ce que le contribuable aura pu économiser ; troisième fauche, qui peut rapporter gros, quand l’herbe sèche avant l’hiver, l’impôt sur les successions.

 

Avec ces trois fauches, on perçoit obscurément que l’impôt ne vise pas qu’à redistribuer l’argent « disponible ». Il soutient la dépense, à savoir la consommation et l’endettement. Il décourage l’épargne et la constitution de biens pour ses vieux jours ou pour les générations futures.

 

Pour le commerce et la finance, des consommateurs gaspilleurs sont infiniment plus intéressant que des personnes vivant frugalement – est-ce raisonnable, sous un angle écologique ?

Pour les assurances privées ou pour le système de l’administré-assisté, il est plus intéressant d’avoir une population dépendante de montages financiers et fiscaux que de compter sur l’autonomie de chacun et la solidarité des familles – est-ce convenable, sous un angle politique et social ?

 

Là sont pourtant les effets induits voire voulus par le système de la triple fauche. Elle profite d’abord à l’industrie, au commerce et à la finance, non à la République.

 

Publié dans Economie et politique

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