L'emblème de la Croix-Rouge

Publié le par cassiano

A la différence des droits de l’homme, le droit international humanitaire dispose dès l’origine d’un « logo » : l’emblème protecteur de la Croix-Rouge. Il est indispensable, de manière à pouvoir distinguer, dans un conflit armé, les combattants et les non-combattants (les personnes mises hors de combat ainsi que les travailleurs humanitaires).

 

Ce symbole, simple, aisément reconnaissable et visible de loin, fut adopté le 22 août 1864. Sa forme correspond aux couleurs inversées du drapeau de la Suisse. Par principe, il devait s’agir d’un symbole unique et universel, puisque toute victime de la guerre, quel que soit son camp, avait un égal droit à une assistance et à une protection. Il n’était pas concevable d’avoir un symbole pour la France, un autre pour la Prusse et encore un autre pour l’Empire ottoman.

 

Malheureusement, l’Empire ottoman, qui avait reconnu et utilisé à partir de 1864 le symbole de la Croix-Rouge, décida en 1876 qu’il s’agissait d’un symbole « chrétien » voire « croisé », inacceptable. Les Turcs créèrent dès lors leur propre emblème, celui du « Croissant-Rouge », à la connotation explicitement religieuse… et qui par contrecoup pouvait asseoir l’idée d’une connotation chrétienne dans le symbole « suisse » de la Croix-Rouge.

 

Il faudra attendre 1929 pour que l’emblème du Croissant-Rouge soit formellement reconnu aux côtés de celui de la Croix-Rouge. On admit de même le « Lion-et-soleil-rouges » que la Perse avait créé de son côté. La boîte de pandore était ouverte. Le jeune Etat d’Israël voulut faire reconnaître à son tour une étoile de David comme emblème, le « Bouclier rouge de David ». D’autres y sont allés de leur idée, comme certains bouddhistes voulant faire admettre une svastika rouge.

 

Les plus tenaces dans ce débat furent les Israéliens et leurs alliés. Par le biais de pressions financières de la Croix-Rouge américaine, le CICR poussa la Suisse à entrer en matière et à rouvrir le débat sur l’emblème protecteur. Le 8 décembre 2005, un compromis fut trouvé, sous la forme d’un 3e Protocole additionnel aux Conventions de Genève, qui crée un emblème supplémentaire : un cadre carré posé sur la pointe, au cœur duquel chacun peut insérer son logo (y compris une étoile de David). On l’appelle le « cristal rouge ». Chose préoccupante en matière humanitaire, cet instrument n’a pas été adopté par consensus – c’est-à-dire sans opposition explicite – mais par un simple vote majoritaire.

 

Dès lors, on a maintenant quatre emblèmes protecteurs, dont l’un est tombé en désuétude mais n’a pas été formellement aboli (l’emblème persan) et l’autre n’est utilisé par personne, pas même Israël (qui n’a toujours pas ratifié le 3e Protocole et dont la société nationale n’utilise pas cet emblème créé exprès pour elle).

La morale de cette longue histoire ?

 

C’est que le plus intolérant, s’il est tenace et acharné, finit malheureusement souvent par gagner. Par sa capacité de nuisance, que l’on soit ottoman, perse ou israélien, on peut faire céder un consensus humanitaire universel. Le fait de respecter ou de violer le droit humanitaire, par ailleurs, ne semble jouer aucun rôle dans ce jeu.

 

Consolation : ce n’est pas seulement ni premièrement l’emblème qui protège les acteurs humanitaires, mais la fonction qu’ils exercent, même s’ils n’arborent pas cet emblème.

 

Rêvons : abolissons le 3e Protocole et revenons à 1864, avec un seul symbole, respecté de tous, sans exclusive ni prime à l’intolérance, le symbole historique de la Croix-Rouge.

Publié dans Diplomatie

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